Synthèse des communications et débats du Séminaire ARLoD ‘’Mort subite et défibrillation précoce : les clés de la réussite’’ du 1er mars 2018.
Depuis le décret de mai 2007 autorisant les non-médecins à utiliser les défibrillateurs, la prise en charge de l’arrêt cardiaque inopiné en France s’est amélioré, mais il reste beaucoup de travail à faire.
ARLoD (Association pour le Recensement et la Localisation des Défibrillateurs) créée fin 2008 a pour objectif de recenser et géolocaliser les défibrillateurs sur le territoire et de mettre les informations à la disposition des services d’urgence. L’intérêt est de pouvoir indiquer aux témoins d’un arrêt cardiaque où se trouve le défibrillateur le plus proche, accessible et fonctionnel au moment de l’arrêt cardiaque.
Cette action difficile est un vrai travail de fourmi, d’autant que le nombre de Défibrillateurs Automatisés Externes (DAE) est de l’ordre de 160 000 à 180 000.
Fort de ses contacts avec la Direction Générale de la Santé, les services d’urgence, les sociétés savantes et professionnelles, les associations de secouristes, les fabricants et distributeurs… et donc d’une bonne connaissance de la problématique, l’idée du séminaire ARLoD est née : ‘’Mort subite et défibrillation précoce : les clés de la réussite’’.
L’objectif était de réunir tous les partenaires concernés par la prise en charge d’un arrêt cardiaque et de déterminer, à toutes les étapes, ce qui pouvait être amélioré pour augmenter le taux de survie qui n’est actuellement que de l’ordre de 6 %.
Le Ministère des Solidarités et de la Santé nous a accueilli dans ses locaux pour cette manifestation. Madame Anne-Claire AMPROU, Directrice générale adjointe de la Santé, a ouvert la séance en rappelant les objectifs du Ministère en termes de prévention et d’intérêt porté à l’arrêt cardiaque.
Les principales données seront reprises dans un livre blanc qui sera largement diffusé. Aujourd’hui, nous soulignons simplement ce qui a marqué cette journée, en prenant comme fil conducteur la chaîne de prise en charge : alerter, masser, défibriller.
Les témoins d’un arrêt cardiaque et la formation
Ils ont un rôle essentiel face au temps nécessaire aux services d’urgence (SDIS et SAMU-SMUR) pour se présenter sur les lieux d’un arrêt cardiaque.
En France, la formation aux gestes qui sauvent de la population est grandement insuffisante : moins de la moitié de la population serait formée ou sensibilisée ; seulement 27 % aurait suivi une formation de Prévention et Secours Civique de niveau 1 (PSC1). Chaque année environ un million de personnes sont sensibilisées ou formées. Nous sommes loin de l’objectif fixé à 80 % de la population dans un récent rapport (Pelloux – Faure).
Cette formation, et il y a un accord unanime sur ce point, devrait se faire obligatoirement dès l’école pour construire un véritable ‘’savoir agir’’. Les textes existent, mais dans les faits, la formation n’est pas toujours mise en place faute de temps ou d’enseignants.
Les professeurs qui connaissent leurs élèves sont le mieux placés pour transmettre ces connaissances à condition d’avoir été préalablement formés.
L’accent a été également mis sur les méthodes pédagogiques qui doivent évoluer. Elles doivent se resituer dans l’environnement de communication actuel et tenir compte du fait que les enfants ont presque tous vus un arrêt cardiaque dans une série ou autre émission télévisuelle. Le télé-enseignement et les jeux de rôles doivent être intégrés et construits en liaison avec les sociétés savantes qui apporteraient compétence et crédibilité.
L’arrêt cardiaque en France aujourd’hui
Pour le Centre d’Expertise de la mort subite qui a des données exhaustives des arrêts cardiaques de la région parisienne (75, 92, 93, 94), 72 % des arrêts ont lieu au domicile. La réanimation est entreprise par un témoin dans moins d’un cas sur deux (45 %). Les secours n’arrivent qu’au bout de 9,3 minutes. Le taux de survie a doublé entre 2005-2008 et 2014-2015.
Le registre RéAC (Registre électronique des Arrêts Cardiaques) a 4,5 ans de recul. Il permet d’évaluer les pratiques médicales grâce aux informations receuillies.
Pour les arrêts cardiaques non traumatiques pris en charge par les SMUR, le taux de survie à 30 jours est de 7,8 %.
L’étude de cohorte entre juillet 2011 et le 25 décembre 2017 réalisée à partir des données de 294 SMUR et 94 SAMU montre qu’un DAE est utilisé par les témoins dans seulement 9,8 % des cas. Dans cette catégorie, un choc est délivré dans 26,0 %.
Quand il n’y a pas de DAE apporté par les témoins, le taux de survie à 30 jours est de 5,2 %. Si un DAE est présent, qu’il soit utilisé ou non, le taux est de 13,5 %. Si la réanimation cardiaque est entreprise, le DAE mis en place et un choc délivré, le taux de survie est de 36,1 % et les patients n’ont pas ou très peu de séquelles.
L’étude réalisée par le Centre mondial de référence des premiers secours de la Fédération Internationale de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge menée en 2013 a été mise à jour en 2018. Elle a permis de proposer 10 recommandations générales pour tous les pays qui ont le mérite de bien poser le problème de la place des premiers secours :
- L’éducation aux premiers secours devrait être accessible à tous.
- Une formation obligatoire aux premiers secours doit être mise en place à différents stades de la vie (école, permis de conduire, travail, etc.).
- La formation aux premiers secours devrait être obligatoire au travail.
- Des délais doivent être fixés pour que les certificats de premiers secours soient limités dans le temps avec la nécessité d’un recyclage régulier au moins tous les cinq ans.
- Nécessité d’une harmonisation pour la formation aux premiers secours (technique et pédagogique).
- La formation devrait permettre que tous les citoyens jouent un rôle actif dans la prévention et la préparation aux catastrophes afin de répondre à toutes sortes de catastrophes ou d’accidents de la vie courante.
- Nécessité de développer plus de campagnes d’information pour encourager la formation aux premiers secours.
- Les groupes vulnérables devraient être ciblés pour la formation aux premiers secours (membres de la famille de cardiaque, personnes âgées, personnes handicapées, groupes minoritaires).
- L’accès à la défibrillation devrait être facilitée dans tous les lieux publics.
- Les personnes pratiquant les premiers secours doivent être protégées par la loi afin de faciliter le passage à l’acte.
Recensement et localisation des défibrillateurs : action d’ARLoD
Ce travail est essentiel pour que les services d’urgence alertés par les témoins d’un arrêt cardiaque, après avoir donné au témoin les conseils de gestes qui sauvent par téléphone, puissent lui indiquer où se trouve le défibrillateur accessible le plus proche. En effet, un retard à la défibrillation d’une minute conduit à une perte de chances de survie de 10 à 12 %.
Cela est dans le respect des dernières recommandations de l’ERC (European Resuscitation Council) en 2015 : ‘’Favoriser les échanges entre le régulateur médical et le témoin de l’arrêt cardiaque pour la réalisation d’une RCP (Réanimation Cardio Pulmonaire) et la mise en œuvre d’un défibrillateur externe’’.
ARLoD a recensé plus de 25 000 DAE, principalement sur une cinquantaine de départements dans lesquels l’association a un correspondant SAMU ou SDIS actif. L’association est en attente de la création d’une base de données nationale des DAE proposée dans la loi n° 827 et déjà votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 13 octobre 2016. Ce texte n’a pas encore été mis à l’ordre du jour du Sénat. L’organisme chargé de la gestion de cette base reprendrait l’activité d’ARLoD ou lui confierait la tâche en lui donnant les moyens de l’effectuer.
Statut des défibrillateurs
Les défibrillateurs sont des dispositifs médicaux qui passent de la classe IIb à la classe III dans la classification du marquage CE. Cette classification est basée sur les risques potentiels liés à la conception et la fabrication des dispositifs. La classe III correspond à un potentiel très sérieux de risque. Les DAE constituent un cas unique parmi les dispositifs médicaux car ils peuvent être utilisés par le grand public et ont un impact sur le pronostic vital.
La nouvelle réglementation européenne de mai 2007 est plus contraignante pour les fabricants et distributeurs en termes de traçabilité et devrait conduire à un meilleur contrôle des distributeurs par les fabricants. Par contre, elle ne règle pas le problème de la maintenance des DAE. Chaque état peut prendre des mesures spécifiques. Le modèle mis en place pour les extincteurs en France pourrait répondre aux besoins identifiés de sécurisation des DAE.
Les données des fabricants et distributeurs montrent que 30 à 40 % des DAE ne sont pas fonctionnels et parmi eux, 50 % ne le sont pas de façon optimale. Les responsables de cet état de fait en premier lieu les fabricants (indications peu claires sur la maintenance et choix de sous-traitants peu fiables), les exploitants qui choisissent un contrat de maintenance sur une base économique et non technique. Les opérations de maintenance devraient être faites par des professionnels habilités par les fabricants et ayant les compétences techniques nécessaires. Compte tenu de l’état du parc des DAE, ce contrôle devrait être annuel ou biannuel. Les pouvoirs publics pourraient mettre en place en France des règles allant en ce sens. Les données de ces opérations de maintenance pourraient faciliter la mise à jour d’une base de données des DAE.
Aide au témoin par les services de secours
La diffusion des smartphones permet aujourd’hui aux témoins d’un arrêt cardiaque de rapidement prévenir les services de secours quel que soit le lieu de l’arrêt. Le rôle du premier répondant (Assistant de Régulation Médicale du SAMU ou premier répondant du centre de régulation des appels des SDIS) est de faire débuter immédiatement les compressions thoraciques même lorsque les témoins n’ont pas été formés. Cela doit être fait avant même d’impliquer le médecin régulateur. Le rôle des applications d’aide smartphones reste encore à préciser.
Aux sauveteurs traditionnels formés à la RCP (corps de police, pompiers, secouristes organisés), viennent s’ajouter le personnel des aéroports et des compagnies aériennes et des casinos.
Des réseaux de ‘’sauveteurs laïcs’’ ou ‘’bons samaritains’’ se développent. Ils peuvent être appelés en renfort pour aider les témoins d’un arrêt cardiaque. L’efficacité de ces pratiques devra être évaluée.
Intégration opérationnelle des défibrillateurs dans les logiciels de gestion et de régulation des appels
L’accord est unanime pour le développement d’une base de données unique. Néanmoins, deux problématiques essentielles ont été identifiées : exhaustivité et mise à jour. Pour les portes paroles des SAMU, cette base de données est celle d’ARLoD, qui a le soutien depuis sa création de la Direction Générale de la Santé. Actuellement, les défibrillateurs sont sous-utilisés car loin d’être tous recensés. De plus, la signalétique est bien souvent absente ou ne permet pas à la population de les localiser.
L’objectif pour les SAMU est d’intégrer la localisation des DAE dans le logiciel de régulation, avec un lien ou connecteur avec la base de données ARLoD. L’étude est en cours entre SI-SAMU et ARLoD. C’est en discussion avec le logiciel EXOS et les SAMU concernés. Un connecteur avait été expérimenté dès 2012 sur un département avec SIS-Centaure 15.
La base de données peut être commune au SAMU et au SDIS. C’est le cas dans le Val d’Oise où le travail a été mené en collaboration ARLoD – SDIS 95, sur la base des rubriques définies par ARLoD. Les données sont intégrées dans la cartographie du SDIS 95 depuis deux ans.
Textes, décrets et lois : du volontariat à l’obligation
Pour le Ministère des Solidarités et de la Santé et la Direction Générale de la santé, la lutte contre la mort subite est un enjeu important de santé publique.
Elle s’inscrit dans la stratégie nationale de santé à travers cinq axes d’actions :
- La réduction des risques et la prévention.
C’est mettre la prévention au cœur des pratiques.
- La formation aux gestes de premiers secours de la population et le renforcement de la formation des acteurs des secours et des soins d’urgence.
L’arrêté du 30 juin 2017 a redéfini le contenu de formation aux gestes qui sauvent et précisé les acteurs formateurs. L’objectif est d’arriver à former 80 % de la population dans les cinq ans. Les professionnels de santé doivent aussi être formés avec une mise à jour des connaissances tous les quatre ans.
- La facilitation de la mise à disposition des défibrillateurs.
C’est favoriser l’implantation y compris dans les lieux d’habitation notamment collectifs.
C’est créer une obligation de maintenance avec une définition de l’exploitant du DAE.
C’est géolocaliser les DAE dans le cadre d’une base de données nationale.
- L’optimisation du parcours de soins des patients victimes d’un arrêt cardiaque.
Le parcours de soins spécialisé et régulé fait partie du projet régional de santé.
- L’évaluation des prises en charge et le développement de la recherche.
L‘évaluation permet d’améliorer les pratiques, c’est ce que font le Centre d’Expertise de la Mort Subite et le registre RéAC. C’est aussi rechercher comment prévenir la mort subite et définir les personnes à risques. Cette lutte contre la mort subite nécessite l’action synergique entre tous les acteurs et à tous les niveaux d’intervention.
Une proposition de loi relative au défibrillateur cardiaque a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en octobre 2016 (texte n° 827).
- Le premier article concerne la sécurité des personnes. Il doit permettre de déterminer les types et catégories d’établissements recevant du public tenus de s’équiper d’un DAE.
- Le second concerne l’obligation de maintenance des appareils par les propriétaires.
- Le troisième demande la création d’une base de données nationale des DAE relative à leur implantation et à leur accessibilité, base confiée à un organisme désigné par décret.
Ce texte a été transmis au Sénat qui ne l’a pas encore mis à l’ordre du jour.
Il permettrait d’avancer et de clarifier une situation pour le moins ambiguë et facilitant les dérives.
ARLoD souhaite que ce texte puisse être mis en application rapidement et le relais pris par cet organisme. ARLoD est prêt à collaborer ou à accepter que le travail lui soit confié avec les moyens de le réaliser efficacement.
Conclusion et suite à donner
Notre séminaire ‘’Mort subite et défibrillation précoce : les clés de la réussite’’ a mis en évidence les améliorations possibles à toutes les étapes de la prise en charge.
Pour être réalisées, elles nécessitent une véritable volonté politique car elles concernent le Ministère des Solidarités et de la Santé, le Ministère de l’Éducation nationale et le Ministère de l’Intérieur ainsi que l’ensemble des acteurs.
Les travaux de cette journée vont permettre de rédiger un livre blanc avec un plan à cinq ans et des propositions d’actions d’information et de sensibilisation répétitives vis-à-vis de la population, comme cela a été fait pour les grandes causes nationales de santé publique. Merci par avance à toutes celles et ceux qui vont nous aider à rédiger ce livre blanc.